Les comportements humains accentuent l’effet des pénuries
Une entreprise est soumise à 4 grands types de variabilité : la variabilité liée à la demande de ses clients, celle liée à ses fournisseurs, celle liée à ses processus propres et enfin celle liée aux personnes qui la composent – que ce soit pour des décisions ou pour l’exécution d’une tâche. Les pénuries, par leur impact et la désorganisation qu’elles engendrent, incitent à des décisions et des actions. Bien souvent cela se fait dans la réaction plutôt que dans l’anticipation. Cette gestion des pénuries entraîne des variabilités supplémentaires qui viennent malheureusement accroître les effets plutôt que de les résorber.
Une illustration pour se mettre en situation
Prenons le cas d’une entreprise qui fabrique des bières et qui se retrouve en pénuries de bouteilles. Chaque modèle de bière a un flacon différent, des consommations différentes, des volumes différents. Tous les flacons sont faits chez le même fournisseur qui fournit tous les autres concurrents. La pénurie de bouteilles touche donc toute l’industrie.
Creusons un peu plus. La pénurie ne touche pas toutes les bouteilles. Certains stocks sont suffisants et le fournisseur arrive à les livrer plus ou moins au rythme des consommations. Certains stocks sont trop abondants et d’autres évidemment sont à 0 : il y a une rupture.
Dès lors, quelles réactions typiques retrouvons-nous dans la gestion de cette pénurie ? Côté achat, on va essayer de trouver de nouveaux fournisseurs. Les approvisionnements crieront très forts sur le fournisseur en espérant que cela aide. Ils piloteront finement les livraisons en demandant des états d’avancement réguliers et très détaillés pour avoir des updates au plus juste de toutes les commandes en cours. Le service client fera au mieux pour gérer les substitutions et les stocks en cours. La production entre les deux passera ses journées à refaire son planning à 2 semaines. Elle essaiera d’optimiser les lignes de production et la charge. Enfin, la direction incitera probablement à une hausse des stocks de sécurité, en plein milieu de la crise, pour permettre de se couvrir suffisamment !
Quels résultats pour ces réactions ?
Chacun de ces éléments, s’il part d’une bonne intention, peut se révéler contre-productif :
- Une autre source d’approvisionnement, si la qualité n’est pas au rendez-vous, peut générer un nombre de problèmes importants, entre autres qualité, surtout si cela est fait dans l’urgence
- Le fournisseur va se retrouver assailli de demandes pour suivre finement ses commandes et sera incapable de les gérer. Cela grèvera sa capacité à faire autre chose, comme traiter ses problèmes pour augmenter sa capacité
- La production passant son temps à faire et à défaire va faire exploser ses ordonnanceurs. Les coûts ont finalement de fortes chances d’augmenter sans régler de problèmes
- Les substitutions si elles ne sont pas sur les bons produits pourraient contribuer à relancer des productions sur des produits qui eux-mêmes n’ont pas les composants nécessaires
- Enfin, la hausse des stocks (et plus généralement les commandes additionnelles dans le seul but de se couvrir) va accentuer les pénuries – d’autant plus que chaque client va le faire. Le fournisseur va donc se retrouver à produire des articles non pénuriques pour construire des stocks… en plein milieu d’une crise où ce fournisseur est goulot
Mais alors, comment gérer une pénurie ?
Une partie importante des actions listées précédemment ont en revanche beaucoup de sens si elles sont anticipées avant la crise : constituer des stocks de sécurité par criticité produit, avoir du double-sourcing, définir des substitutions classiques, mettre en place des systèmes de suivi automatiques (EDI ou autre).
Pendant la pénurie, pour la gestion, on peut distinguer 2 niveaux. D’une part, le niveau de la gestion opérationnelle va permettre de piloter la pénurie. Toute entreprise ayant des flux tirés aura un avantage conséquent puisque les besoins réels remonteront comme prioritaires. Cela contribuera à se concentrer sur les flux critiques. Pour les autres, il faudra piloter des contingentements en grand nombre et éviter de trop sur-réagir. D’autre part, le niveau de gestion globale permettra coordonner les différents acteurs entre eux. Dans notre exemple précédent, une entente entre les différents clients de la verrerie permettrait de gérer les volumes disponibles et d’éviter que la loi du plus fort ne s’applique. Evidemment, ce dernier niveau est loin d’être évident.
Le comportement humain : un ennemi pendant les pénuries
Nous l’avons vu lors de la crise du COVID avec les ruptures sur le papier toilette, les comportements humains ont tendance à amplifier les pénuries : la peur de manquer est génératrice elle-même du manque. Plus récemment, les grèves des raffineries de septembre et octobre 2022 qui ont généré des ruptures d’essence ont généré des augmentations de consommation de l’ordre de 30%. 30% de hausse de consommation pour 20% de baisse d’approvisionnement, la réaction est plus forte que le mal en lui-même !
Chaque réaction est évidemment différente en fonction du type de produit (1ère nécessité ou pas), de l’ampleur de la pénurie, des informations disponibles, etc. En revanche, on retrouve les mêmes comportements en B2B qu’en B2C : ce sont bien des personnes qui pilotent les Supply Chain.
Quel avenir pour la gestion des pénuries ?
Le nombre de pénuries ne pourra aller que croissant, accentué par l’atteinte du pic d’extraction de plus en plus de ressources et par la limitation de l’énergie disponible. Gageons que l’ampleur actuelle de chaque pénurie sur les entreprises les incitera à revoir leurs modes de pilotage, à mieux se préparer et anticiper. Nous avons d’ailleurs déjà listé dans cet article et dans d’autres de nombreuses pistes. Une question importante se pose : les entreprises arriveront-elles à se réguler ou les états devront-ils régulièrement intervenir ?
Et vous, comment vous préparez-vous aux futures pénuries ?
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