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Supply Chain

Comment anticiper et gérer les pénuries ?

Gérer les pénuries

Gérer les pénuries est un sujet complexe en Supply Chain. Les crises des masques et des semi-conducteurs nous ont montré leur impact et leur force. Elles sont pourtant un problème ancien. L’amélioration des moyens de production, des transports, des outils informatiques et de pilotage, l’ouverture des économies, tout nous a laissé penser qu’elles ne seraient qu’un lointain souvenir. Le retour à la réalité est difficile. Favorisées par le terreau fertile de nos Supply Chain ultra-interconnectées et donc fragiles, ces pénuries sont amenées à se développer et à devenir une nouvelle norme. Outre les tensions géopolitiques, possiblement des éléments conjoncturels, l’élément structurel majeur est bien l’atteinte des pics de production sur de nombreuses matières premières. Le réchauffement climatique n’aidera probablement pas en ce qui concerne les matières premières agricoles en limitant les surfaces cultivables.

Si ces pénuries, donc, deviennent la norme, il faut s’y préparer. Pour cela, il faut aussi bien apprendre à anticiper que s’outiller pour être capable de gérer les pénuries le moment venu.

Anticiper, plus dur qu’il n’y paraît

Anticiper, c’est avant tout une vision stratégique. Cette anticipation est à adapter à chaque contexte d’entreprise. Elle a pour objectif de réduire les probabilités ou l’intensité d’une pénurie future. Anticiper, c’est également préparer son organisation à gérer la future pénurie.

Chaque entreprise a ses propres spécificités. Nous allons donc donner quelques exemples concrets, non exhaustifs donc, mais qui sont autant de pistes pour les organisations s’y reconnaîtront.

1. Développer le double-sourcing

Première étape à réaliser : identifier les composants à risque. Cet exercice est plus complexe qu’il n’y paraît. Rarement fait, il nécessite l’analyse de l’ensemble de la chaîne de valeur depuis les fournisseurs les plus lointains. Cette multiplication des sources d’approvisionnements doit en outre passer par une évolution des modes d’achat. En effet, il faut partager le marché en cours pour faire en sorte que chaque fournisseur soit bien actif. De plus, il faut se préparer à une augmentation des coûts. La nouvelle source identifiée n’est probablement pas la moins chère et les volumes par fournisseur vont baisser. Les coûts de gestion (achats, approvisionnement, qualité) ou de transports vont par ailleurs augmenter. Enfin, il ne faut pas oublier que la nouvelle source doit être immune aux risques identifiés sur la première. Inutile d’avoir une autre source dans le même pays si le risque est politique !

2. Rallonger la durée / l’horizon des contrats avec ses fournisseurs

Cette piste permet, au moins en partie, de contrebalancer l’augmentation des coûts du double-sourcing. Cet allongement de durée et/ou d’horizon a 2 grands effets positifs : d’une part, elle sécurise l’approvisionnement pendant les périodes difficiles et peut également amortir la hausse des prix. La collaboration avec les fournisseurs s’en trouve renforcée. Attention cependant à bien prévoir les cas de baisse de prix des matières premières et à anticiper certains risques (sur-approvisionnement en cas de baisse de volume, fournisseur plus fort lors des négociations, etc)

3. Faire de l’intégration verticale

Une manière de sécuriser son approvisionnement est d’acheter son fournisseur, où d’avoir une part significative dans son actionnariat. Evidemment, au-delà des risques anti-trust si le nouvel ensemble menace vos concurrents, cela change probablement la structure de l’entreprise. Cela va également à l’encontre de la stratégie de spécialisation métier sur le cœur de l’entreprise, mais remet au goût du jour l’adage « si vous voulez gagner de l’argent spécialisez-vous, si vous voulez durer, diversifiez-vous »

4. Négocier des quotas avec ses fournisseurs

Il est toujours plus facile de négocier des quotas avec des fournisseurs avant la pénurie que pendant. Ils ne sont alors pas tout puissants pour décider ou non de vous livrer. L’anticipation des moments de futures pénuries dans les contrats constitue un passage de plus en plus important. Reste à définir cependant les critères de pénurie, les modalités d’attribution des quotas, les modalités financières associées. Cela repose évidemment sur une relation de confiance avec le fournisseur. Il faut en effet un minimum de transparence quand la pénurie survient pour suivre le contrat

5. Piloter des stocks stratégiques

La solution la plus triviale n’est pourtant pas la plus facile à mettre en œuvre. En effet, un des plus gros travaux de ses dernières années en pilotage opérationnelle a été la réduction desdits stocks, à la fois sous l’impulsion des démarches lean manufacturing et de la volonté des Supply Chain de gagner en efficacité (rotations plus fortes, coûts plus faibles, moins d’obsolescence). La constitution de ces stocks doit se faire de manière structurée et pilotée pour ne pas être une boîte de Pandore. Il faut bien entendu identifier les références à risque et l’intensité de ce risque pour dimensionner et piloter le sur-stock souhaité.

6. Flexibiliser ses produits

Cet exemple concerne le département Produit / R&D / Industrialisation. Travailler sur ses produits est également un bon moyen d’anticiper les pénuries. Redessiner un produit pour enlever un composant à risque, identifier des variantes à activer en cas de rupture du composant initial (on pense aux tableaux de bord à aiguille remplaçant les quadrants digitaux chez PSA lors des ruptures de semi-conducteurs). Les solutions sont nombreuses et demandent de l’agilité et de la créativité !

7. Développer des sources de revenus additionnels moins sensibles aux pénuries

On peut notamment penser aux activités de retrofit, rewamping ou services additionnels par exemple. On peut également ajouter la mise en place d’offres de location ou la création d’un marché de l’occasion. Ces dernières activités pourraient être perçues comme cannibalisant l’activité principale, mais la diversification et la résilience apportées peuvent être intéressantes pour l’entreprise – et cela contribue à sa démarche RSE.

On le voit, l’anticipation peut passer par de nombreux chemins. En revanche, on notera que certains impliquent des surcoûts qui seront à absorber, par la marge ou le prix. En cela, on est face à une décision stratégique entre le risque de rupture et le surcoût engendré. N’oublions pas qu’un risque ne coûte rien jusqu’à ce qu’il apparaisse et que la comptabilité analytique ne permet pas d’identifier simplement la meilleure décision. Il faudra donc scénariser et analyser les résultats de simulations pour savoir quel ratio coût/risque retenir.

Gérer les pénuries, ou l’agilité comme fer de lance

Gérer les pénuries est complexe parce qu’elles tendent l’ensemble de la chaîne, du service client qui se retrouve à faire des allocations complexes et nombreuses aux approvisionnements qui doivent tirer les flux et les piloter finement, en passant par la production dont les priorités changent aussi régulièrement que des évolutions apparaissent en amont ou en aval. On retrouve en cela les caractéristiques d’un système qui soumet ses acteurs au cycle infernal d’une machine à laver organisationnelle. Le bruit managérial vient souvent s’ajouter aux difficultés de pilotage opérationnel. Elle est complexe également parce qu’elle met en évidence des processus que les systèmes MRP ne savent pas piloter simplement.

Il faut donc apprendre à gérer la pénurie pour que cela devienne naturel et que les processus ne s’effondrent pas. On pensera notamment : au S&OP, au pilotage des stocks, au pilotage des ventes, aux prévisions, à la gestion des priorités et des allocations, au management des fournisseurs. Il faut également faire en sorte de ne pas créer ou amplifier d’effets coups de fouet, fréquents lors des pénuries.

Le DDMRP peut venir comme solution pour gérer les pénuries opérationnellement. Son mode de gestion simple, visuel permet en effet de lire très simplement les priorités et d’adapter son pilotage aux besoins réels. L’ensemble de l’organisation se centre donc sur la production et l’approvisionnement de ce qu’il faut réellement. L’attention se détache de ce qui est superflu. L’interconnexion des buffers entre eux permet également de propager efficacement le signal sur l’ensemble du flux. Les buffers amortissent la variabilité, sujet très sensible lors des pénuries.

Le service client se retrouve souvent aux premières loges dans la gestion des clients. Les moments de pénuries sont également un bon moyen de proposer des substitutions. Ceci demande une certaine maturité et une bonne compréhension des besoins et des enjeux des clients pour que la substitution proposée soit pertinente.

Vers une gestion par les états ?

Comme nous l’avons vu, beaucoup de choses sont possibles à l’intérieur des entreprises. Cependant, entre entreprises, l’arbitrage est complexe. La régulation des flux devient la loi du plus fort – ou de celui qui paye le mieux. L’optimum, glissant vers l’optimisation de la marge du vendeur, devient donc local. Une question se pose donc : les états seront-ils obligés d’intervenir pour gérer les pénuries mondiales ? C’est probable. Nous avons d’ailleurs vu apparaître ce genre d’intervention pendant la crise du COVID. Durant celle-ci, la gestion des volumes de masque se faisaient au niveau des états. Les flux se sont transformés en quelques mois passant d’un flux tiré par la demande et les clients à un flux global administré (tant bien que mal). Dans ce cas là également, l’anticipation aurait probablement permis de meilleurs résultats.

Si la pénurie des semi-conducteurs était une pièce de théâtre …  – Findle

Des puces électroniques au plastique : les raisons d’une pénurie mondiale (lemonde.fr)

Pénurie de matières premières : un comité de crise créé à Bercy pour régler les litiges (europe1.fr)

Jérôme
Senior Manager