Les grands défis de la traçabilité
Dans un monde économique où la transparence et la responsabilité deviennent primordiales, la traçabilité se positionne au cœur des stratégies d’entreprises soucieuses d’assurer la qualité et l’origine de leurs produits. Cet article s’inscrit dans la continuité de ceux publiés au sein de la série sur la traçabilité. Nous avions déjà discuté de la définition de la traçabilité (Traçabilité versus connaissance de sa supply chain amont – Findle), de ses enjeux (7 enjeux autour de la traçabilité – Findle) et de ses opportunités (Traçabilité amont : faire d’une contrainte une opportunité – Findle).
Toutefois, implémenter une démarche de traçabilité au sein d’une entreprise n’est pas forcément chose aisée. Cela amène ses propres défis, qu’il est important de bien identifier pour pouvoir les anticiper et donc être le plus à même de les surmonter afin de garantir le succès de la démarche. Cet article se concentre donc sur les principaux challenges de la traçabilité (déterminer le bon degré de pertinence ; faire face à la multiplicité des acteurs et des systèmes et leur potentielle interopérabilité ; gérer les différentes problématiques liées aux données dont le cas de des produits recyclés) et sur comment se préparer au mieux pour être en mesure de les relever.
Quelques défis de la traçabilité
Evaluer le bon degré de pertinence nécessaire pour la traçabilité
Dans la quête d’une traçabilité optimale, les entreprises se trouvent à la croisée des chemins entre l’abondance de données et la pertinence de celles-ci. Sachant qu’il existe plusieurs mailles de cartographie pour implanter une démarche de traçabilité sur une chaîne d’approvisionnement (au lot, à l’article, au fournisseur …), la question est de savoir jusqu’à quel point il faut pousser la traçabilité. Le profit associé à la traçabilité est corrélé au bon niveau de granularité, comme l’illustre cette étude d’implémentation de RFID pour répondre à des enjeux de traçabilité [The expected value of the traceability information (researchgate.net)]. Définir le niveau de détail nécessaire requiert un équilibre délicat : un excès de détails peut entraîner des coûts supplémentaires et une gestion complexe, tandis qu’une information insuffisante pourrait compromettre l’efficacité de la traçabilité et sa valeur ajoutée.
Chaque entité dans la chaîne d’approvisionnement doit donc évaluer les données à collecter afin de répondre aux besoins spécifiques de l’organisation, qu’ils soient réglementaires, de gestion, ou relatifs à la qualité environnementale. L’objectif est d’atteindre un niveau de précision qui non seulement satisfait les exigences externes, mais qui permet aussi d’affiner les processus internes, d’améliorer la qualité et de répondre à la demande croissante de transparence de la part des consommateurs et des parties prenantes. La traçabilité doit être envisagée non comme une fin en soi, mais comme un moyen d’ajouter de la valeur à l’entreprise, en fournissant une visibilité qui permet d’améliorer constamment les opérations, la qualité des produits, et en fin de compte, la satisfaction du client.
Répondre aux problématiques d’interopérabilités engendrées par la multiplicité croissante des systèmes
Bien que la traçabilité soit devenue une préoccupation centrale, elle reste entravée par un manque de cohérence et d’harmonisation. Les entreprises, dans leurs tentatives pour tracer leurs produits, se heurtent à l’absence de procédures standardisées qui couvriraient l’ensemble du processus de traçabilité. La diversité des méthodes et des technologies adoptées par chaque entreprise contribue à une redondance des bases de données et une multiplication des tâches. Il existe une telle diversité d’outils et de méthodes, qu’un fournisseur peut être confronté à de nombreuses sollicitations similaires mais non agrégées, ce qui multiplie les coûts auprès des entreprises et le temps consacré par les fournisseurs de la chaîne amont. Ce défi se complique avec l’ajout de plus d’acteurs dans la chaîne : l’interconnexion de multiples fournisseurs, sous-traitants, et intermédiaires, chacun opérant avec ses propres systèmes et processus, rend la consolidation des informations de traçabilité extrêmement complexe.
L’interopérabilité des systèmes de traçabilité et l’engagement des différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement sont impératifs pour une traçabilité fiable. Comme il existe de multiples outils contenant des données utiles à la traçabilité (100% dédiés à la traçabilité ou non), l’implémentation de normes universelles et de méthodes standardisées est la clé pour résoudre ces problèmes. Un cadre unifié permettrait aux différents acteurs de collaborer plus efficacement, en partageant des informations de traçabilité homogènes et en réduisant la charge de travail liée à la gestion des données redondantes.
Il est donc essentiel que les acteurs de l’industrie s’alignent sur des initiatives visant à établir des normes communes. Cette standardisation faciliterait non seulement la traçabilité mais aussi minimiserait les erreurs opérationnelles dues à la diversité des systèmes de marquage. En unifiant les acteurs autour d’actions et de processus communs, l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement pourrait partager plus aisément des informations précises et à jour, permettant ainsi une traçabilité transparente et efficiente.
Toutefois cette uniformisation doit se faire de façon intelligente car les besoins en traçabilité sont fortement corrélés aux secteurs d’activités. Certaines informations sur la qualité des produits ont davantage d’importance dans l’alimentaire ou le secteur pharmaceutique pour lesquels il existe des réglementations précises. Le secteur va également déterminer le niveau de granularité nécessaire et les technologies pressenties pour faire de la traçabilité. De même qu’aujourd’hui il n’est pas possible de traiter tous les cas d’usage avec un seul logiciel ce qui interroge la faisabilité de méthodes / logiciels uniformes pour la traçabilité. Il faut donc trouver le moyen de faire de l’uniformisation au maximum tout en tenant compte des différents besoins. Cela pourrait, par exemple, se traduire par des plateformes spécialisées.
Traiter les problématiques de la donnée
Dans les systèmes de traçabilité modernes, la qualité et la fiabilité des données sont primordiales pour assurer l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement. Dans la plupart des cartographies, la récolte des informations est encore menée de façon déclarative et bien que l’implication de nombreux acteurs fiabilise la donnée, il demeure un risque. Il est donc nécessaire de réaliser des audits fournisseurs pour vérifier l’alignement des données et de la réalité. Par ailleurs, ces données, cependant, sont sujettes à la péremption. À mesure que les chaînes s’élargissent et s’adaptent rapidement, l’introduction de nouveaux produits et partenaires nécessite des mises à jour régulières pour conserver la précision des informations. Il est crucial d’établir des protocoles pour actualiser continuellement les données, en intégrant les modifications en temps réel, afin de garantir que la traçabilité demeure un reflet exact de la réalité opérationnelle.
La confidentialité des données est également une préoccupation majeure. Les informations sensibles doivent être traitées avec soin pour protéger à la fois la vie privée et les secrets commerciaux, tout en maintenant la transparence requise par les régulateurs et les consommateurs. Cette dimension est d’autant plus importante que dans l’objectif de mener des analyses, les entreprises croisent des données issues de bases publiques et privées ayant différents degrés de confidentialité. Afin de préserver des savoirs et savoir-faire à protéger, certaines plateformes de traçabilité proposent d’identifier les données confidentielles ou de définir différents niveaux de visibilité sur ces données. L’utilisation d’identifiants tels que les numéros DUNS, les identifiants GS1 ou de TVA intracommunautaire, permettent de faciliter la traçabilité mais s’ils sont mal utilisés, peuvent entraîner des inexactitudes et des problèmes de conformité, soulignant l’importance d’une gestion rigoureuse des données d’identification.
La sécurité des données contre les intrusions malveillantes est tout aussi critique. Les systèmes de traçabilité doivent être conçus pour résister aux tentatives de piratage, ce qui nécessite des investissements dans des technologies avancées et la formation du personnel pour prévenir les violations de données.
Enfin, l’entretien des données implique un investissement de temps considérable. Les processus de mise à jour doivent être efficients pour ne pas alourdir inutilement le flux de travail. Les entreprises doivent donc trouver un équilibre entre la nécessité d’une mise à jour régulière et le désir d’éviter une charge de travail excessive. Certaines plateformes de traçabilité proposent des connecteurs aux outils de l’entreprise permettant ainsi une récupération des données automatiques diminuant ainsi le temps de maintenance nécessaire pour avoir des données à jour.
Intégrer les produits recyclés dans une démarche de traçabilité
L’intégration de produits recyclés dans des processus de traçabilité pose un challenge supplémentaire. En effet, si ces produits recyclés n’ont pas déjà bénéficié d’une structure de traçabilité rigoureuse et compatible avec celle dans laquelle ils doivent s’insérer alors il est très difficile pour une entreprise d’obtenir les données liées à ce produit. Cela crée donc une brèche dans la continuité et l’apport de données de traçabilité.
Recommandations et conclusions
Face à ces défis, une préparation minutieuse et une stratégie d’anticipation sont indispensables. Cela commence par une première phase de cadrage avec une définition claire des objectifs de traçabilité, adaptée aux spécificités de l’entreprise et du secteur d’activité. Cette première étape est indispensable pour choisir les technologies appropriées (éditeurs de solutions de traçabilité, audits, RFID, blockchain etc.) de façon qu’ils répondent aux besoins exprimés et soient alignés avec les politiques de gestion des données de l’entreprise, permettant ainsi d’anticiper leur intégration avec les systèmes existants. Enfin, la participation à des initiatives sectorielles pour l’établissement de normes communes, contribue également à la construction d’une démarche de traçabilité robuste et adaptable tout en incitant à développer la maturité sectorielle notamment pour l’uniformisation des systèmes et l’intégration des produits recyclés dans la chaîne de valeur.
En conclusion, bien que les défis soient nombreux et complexes, une approche bien préparée et proactive permettra aux entreprises de tirer pleinement parti des avantages de la traçabilité. En renforçant la transparence, l’efficacité et la confiance tout au long de la chaîne de valeur, la traçabilité se révèle être non seulement un impératif réglementaire et éthique, mais aussi un véritable levier de performance et de différenciation sur le marché.