Quick commerce et équilibre financier : des pistes pour résoudre l’équation
Après avoir abordé le sujet de la course aux délais de livraison raccourcis dans un précédent article, prenons aujourd’hui un autre axe d’analyse pour répondre à la question de la rentabilité du modèle du quick commerce.
Les quick commerçants sont apparus en France à partir de 2020, en bénéficiant d’un ensemble de conditions favorables : COVID, facilité à lever des fonds grâce aux taux bas, développement de la commande en ligne et de « l’économie de la flemme ». Aujourd’hui ils ne sont plus que 3 grands sur le marché français et s’appellent Flink, Gopuff et Getir.
En effet, dans cet univers ultra concurrentiel, peu d’acteurs ont pu s’implanter durablement sur le territoire. La stratégie de captation des clients et la bataille pour les parts de marché, soutenues par une communication massive et une forte agressivité promotionnelle, étaient la première phase de ce processus. Le temps que le fameux « Red Ocean » se vide et que les acteurs s’absorbent ou disparaissent (11 à l’origine, 3 maintenant avec le rachat de l’allemand Gorillas par le turc Getir en décembre dernier).
Des polémiques régulières viennent mettre en avant les limites sociales du modèle. En plus de devoir traiter ce point, le secteur peut-il devenir rentable et sous quelles conditions ? En effet, il se caractérise par de faibles marges et des frais de développement fonctionnels élevés (location de dark stores, moyens de locomotion, flotte de livreurs, fonctions supports).
Nous pouvons identifier 5 leviers.
Optimiser les livraisons
La promesse initiale des quick commerçants, à savoir une livraison en 10 min, impliquait d’effectuer les livraisons une par une. En effet, difficile de grouper les commandes si la fenêtre du délai de livraison est si restreinte. Le coût de l’heure de livraison est donc difficilement absorbable avec un petit volume de livraison.
En abandonnant cette promesse (ce qui est déjà le cas pour l’intégralité des acteurs du secteur), vient la possibilité de grouper les commandes, permettant ainsi d’optimiser ses tournées et donc de les rendre plus rentables.
Cette consolidation des trajets pourrait d’ailleurs être rendue encore plus efficiente par l’utilisation de logiciels poussés spécialisés dans la planification des itinéraires. Reste toutefois à obtenir un volume de commandes suffisant pour occuper l’ensemble des livreurs à plein temps, y compris pendant les heures creuses.
Augmenter le montant du panier moyen
Un deuxième enjeu pour les quick commerçants est de développer les paniers d’achat, aujourd’hui essentiellement cantonnés à des produits de dépannage. La cible panier est évaluée entre 25€ et 30€ (Source : Editions Dauvers).
L’une des clés pour atteindre cette cible semble être l’exécution parfaite des 4 leviers du marketing mix, à savoir :
1- Le bon assortiment
Un assortiment à développer : entre 1500 et 2500 références en moyenne dans un dark store contre 3500 références dans les enseignes de proximité urbaine. Se rapprocher des 3500 références permettrait sans doute de développer les paniers d’achats (au prix d’une gestion plus complexe…). L’assortiment doit être « audacieux » et aiguisé sur le mix produit, en proposant des articles générateurs de hautes marges : bio, produits locaux, ou des plats préparés comme ce qu’avait pu développer Gorillas avec le rachat de Frichti.
Dans l’optique d’augmenter le panier moyen du consommateur, une piste possible est la diversification de l’offre de produits qui ne couvrirait plus seulement l’alimentaire. Déjà observable chez Getir, qui proposait récemment des jeux vidéo en prévente, ou chez Flink, qui s’est associé à la Fnac Darty afin de proposer des produits électroniques. Alors pourquoi ne pas étendre à d’autres produits ? cosmétiques, parapharmacie, ustensiles de cuisine, vêtements d’appoints, décoration d’intérieur, etc.
2- Le bon niveau de promo
La bonne promotion, au bon moment, pour développer les ventes incrémentales.
3- Un « merchandising » en ligne impactant qui favorise les achats additionnels
Adopter une stratégie merchandising efficiente et personnalisée, en affichant sur l’application les produits additionnels les plus pertinents selon le profil des consommateurs, permet d’augmenter le nombre d’articles par panier.
4- Une stratégie pricing intelligente
La compétitivité prix est évidemment un enjeu crucial pour les quick-commerçants qui se doivent d’avoir des prix alignés sur ceux proposés par les supermarchés de proximité, sans quoi ils ne pourraient pas devenir une réelle alternative à ces derniers.
Par ailleurs, on pourrait imaginer des prix s’ajustant à la demande par segment de produits et tranches horaires pour booster le chiffre d’affaires.
Proposer des services complémentaires
Une autre formule possible dans cette quête de rentabilité serait de diversifier ses services et de proposer des formules d’abonnements payants qui donnent accès à des réductions, livraisons offertes, offres complémentaires privilèges. Ces formules d’abonnement offrent l’avantage de prolonger la durée de vie de sa clientèle et donc de générer du chiffre d’affaires additionnel.
La possibilité de proposer une offre de location de produits souvent difficiles à loger dans des milieux urbains (outils de bricolage, fer à repasser, machine à raclette, etc.) pourrait également être une piste intéressante.
Tirer profit de revenus publicitaires
Un axe complémentaire de profitabilité est l’intégration de publicité ciblée dans l’application dédiée. Cette publicité aura l’avantage d’avoir une pertinence accrue, grâce à la data collectée qui est spécifique aux clients et au lien individualisé dont les quick commerçants disposent.
Mettre en place des initiatives en adéquation avec les valeurs des consommateurs
La fragilité du modèle réside dans la non adéquation du quick commerce avec les valeurs partagées par un nombre croissant de consommateurs. Des initiatives et une communication associée sur les thématiques suivantes pourraient être une première réponse :
- Promouvoir le mieux manger (Nutriscore, etc.)
- Améliorer les conditions de travail des livreurs
- Créer des partenariats avec des entreprises spécialisées dans la lutte contre le gaspillage alimentaire (To Good to Go ou Phenix)
- Promouvoir des modes de transports plus décarbonés (vélos, véhicules électriques…)
Ainsi, il existe différents leviers qui permettent de jouer sur l’équilibre financier du modèle du quick commerce qui reste néanmoins fragile et pas forcément en adéquation avec les prises de conscience actuelles. En témoigne la possible future réglementation des dark stores en milieu urbain*.
À l’heure actuelle, le quick commerce ne semble pas pérenne sans optimisations et évolutions majeures. Une exécution parfaite des leviers évoqués précédemment (notamment la modification du modèle de livraison, l’augmentation du panier moyen, la proposition de services complémentaires) pourrait permettre de le rendre viable économiquement et socialement.
*Liens : L’ouverture de dark stores bientôt encadrée, Les coulisses de l’écriture du décret « dark stores »