Quel rapport entre Stakhanovisme et Supply Chain ?
Le stakhanovisme tire son nom d’un mineur soviétique des années 30, Alexei Stakhanov. En 1935, Alexei propose au directeur de la mine dans laquelle il travaille des ajustements dans l’organisation du travail en spécialisant les mineurs sur des tâches particulières pour gagner en efficacité. Il propose également l’utilisation d’une perceuse minière à la place du piolet classique. Le résultat fait grand bruit. Le 30 août 1935, on rapporte que lui et ses collègues auraient extrait 102 tonnes de charbon, soit 14 fois le quota fixé.
Pris en exemple par la propagande soviétique, ce résultat est mis en avant comme un exploit. Il montre l’efficacité d’un ouvrier exalté par la cause communiste. Rapidement, le mouvement se répand et la productivité augmente significativement dans toute l’industrie du pays. D’autres ouvriers prennent son exemple et le titre honorifique stakhanoviste est décerné aux plus efficaces. Selon les chiffres présentant les résultats du plan quinquennal, la productivité globale du pays a augmenté de plus de 80%. Une partie de cette amélioration est liée à l’amélioration des équipements et technologies industrielles. L’autre partie vient du stakhanovisme en lui-même.
A l’époque, l’industrie soviétique en a grandement besoin. Elle prépare en effet sa montée en puissance pour asseoir les ambitions militaires et économiques du pays. Elle en a d’autant plus besoin que la productivité des ouvriers y est significativement plus basse que celles des ouvriers occidentaux.
Cependant, il n’y a pas eu que des conséquences positives à ce mouvement. Nous pouvons noter 4 conséquences néfastes majeures :
- Conséquences humaines. Le stakanovisme a été accompagné d’une montée des quotas et des horaires. Ceci a engendré des mécontentements (les ouvriers récalcitrants étaient emprisonnés) et un épuisement des travailleurs
- Baisse de la qualité. Le stakhanovisme a encouragé les travailleurs à se concentrer sur la quantité plutôt que sur la qualité de leur travail. La conséquence fut une baisse de la qualité des produits
- Gaspillage. Les objectifs des industries étaient uniquement basés sur des quantités. Sans réflexion sur que produire, combien produire et à quelle qualité, cela a entraîné des gaspillages énormes. Jusqu’à 40% des productions n’étaient pas utilisées. Finalement, beaucoup de surplus étaient vendus à un prix très faible sur des marchés internationaux. Si l’augmentation de la production de matière première peut avoir un intérêt, certains produits industriels en grandes quantités ne servaient parfois à rien
- Pénurie de matière première. Les quotas de production étaient décidés par un plan quinquennal. Mis à mal par des surproductions (et des purges parmi les cadres et planificateurs industriels), des pénuries importantes de matière première et de composants sont apparues. Ceci a accru les disproportions entre besoin et approvisionnement faisant apparaître autant de nouveaux goulots
Ce dernier impact est particulièrement intéressant. A l’époque, le concept de Supply Chain n’existe pas mais nous assistons ici à un cas d’école de la Supply Chain : le bullwhip effect. Le déséquilibre dans la production, le manque de planification fine, la non-adéquation entre offre et demande ont été significativement accentués par ces à-coups très violents sur la Supply Chain.
Ces à-coups ont généré une variabilité qui s’est amplifiée très fortement dans une Supply Chain qui n’était pas capable à l’époque d’identifier les causes du problème et encore moins de les traiter. Stakhanov, loin d’aider le bon fonctionnement des entreprises et des flux, a contribué à accentuer de nombreuses faiblesses industrielles de l’Union Soviétique. Un directeur Supply Chain projeté en 1935 aurait donc probablement regardé d’un mauvais œil le stakhanovisme !
Pour aller plus loin
Les comportements humains accentuent l’effet des pénuries – Findle
La réalité du stakhanovisme ou Staxanov par lui-même – Persée (persee.fr)