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Retail

Retail d’hier et d’aujourd’hui, un regard à travers Au Bonheur des Dames

Dans l’univers foisonnant de la littérature française, « Au Bonheur des Dames » d’Émile Zola se dresse comme un témoin puissant de l’évolution du commerce au XIXe siècle. Largement inspiré du Bon Marché, le roman nous plonge au cœur des grands magasins. De leur invention à leur triomphe, c’est l’occasion de nous donner une bonne leçon de Retail ! Spoiler alert : les retailers d’aujourd’hui n’ont pas tout inventé. 

1.    La révolution autour du parcours client

  • Fluidité – Le parcours client chez Zola se dessine avec une modernité stupéfiante, notamment par sa fluidité. Le BdD met en place la livraison à domicile en investissant dans sa propre flotte de chevaux et de cochers. Il accepte également les retours gratuits, le fameux « satisfait ou remboursé ». Il propose la vente par correspondance et affiche les prix directement à l’étalage, ce qui ne se faisait pas jusque-là. L’expérience est sans couture, les clientes se voient accompagnées par le même conseiller, d’un comptoir à l’autre, et jusqu’à la fin de leur parcours : inspiration au personal shopper d’aujourd’hui ? 
  • Personnalisation – Le grand magasin offre un parcours personnalisé à sa clientèle. Les chefs de comptoir y sont de véritables ancêtres de nos CRM actuels. Ils sont en mesure de décliner le nom des clientes, ainsi que des préconisations d’achats sur-mesure. A l’origine de cela, une étude précise de l’attitude de la clientèle : « en expert, il analyse leurs réactions […] Il joue sur des ressorts psychologiques finement étudiés ».
  • Convivialité – Enfin, le BdD n’est pas uniquement un espace marchand, il s’agit d’un lieu de vie. S’y mêlent « cabinet de toilette et autres, très luxueux ; gâteaux et rafraîchissements ; correspondances ; salle de lectures ; galeries de peinture ; salons ». Au-delà de la nécessité d’acheter, les clientes y recherchent une véritable expérience sociale. Cela résonne de nos jours avec des magasins animés par des expositions, des conférences, des spectacles etc. Et même ces messieurs sont de la partie, avec des salons boudoirs où ils peuvent lire la presse, se reposer et échanger avec leurs pairs.

2.    La force du marketing du Bonheur des Dames

  • Visual merchandising – Il s’illustre au fil des pages, avec des mises en rayons captivantes de couleurs ou de thématiques originales « En sortant du magasin, disait-il [le directeur du magasin], les clientes devaient avoir mal aux yeux. ». L’implantation en magasin est souvent revue, afin d’assurer un renouvellement fréquent de l’expérience client. Mais également afin de forcer les clientes à « traverser des rayons où elles n’auraient jamais mis les pieds, des tentations les y accrochent au passage, et elles succombent ». 
  • Evénementiel – Les événements spéciaux, tels que les soldes ou le « blanc » qui sont toujours d’actualité, démontrent une approche marketing stratégique pour attirer l’attention du public, et pour élargir la clientèle cible. Par exemple, la célébration du rayon enfant permet à l’enseigne de « Conquérir la mère par l’enfant». Cela fait écho à diverses enseignes mettant en place aires de jeux, ateliers pour enfants, ou offre de produits gamifiée. L’occasion de faire un petit clin d’oeil aux collections de stickers dans les boîtes de cordons bleus ou aux Mystery Boxes de AMI. 
  • Publicité – La publicité joue un rôle significatif dans le triomphe du BdD. Elle s’exprime par des techniques innovantes : des catalogues avec des échantillons de tissus expédiés aux quatre coins du monde, des gravures intégrées aux publicités, des affiches placardées jusqu’aux rideaux des théâtres. Au-delà de ces mécanismes sophistiqués, c’est avant tout le client le meilleur ambassadeur du retailer, et le directeur du Bonheur des Dames l’avait bien compris : « Un trait de génie que cette prime des ballons, distribuée à chaque acheteuse […] portant en grosses lettres le nom du magasin, et qui, tenus au bout d’un fil, voyageant en l’air, promenait par les rues une réclame vivante ! « . Le XXIème siècle offre un nouveau souffle à ces opérations commerciales. Totebags offerts aux clients chez Jimmy Fairly, des clientes comme égéries chez Comptoir des Cotonniers, des campagnes de pub TV mettant en scène de véritables clients Boxtal etc.

3.    Une révolution logistique et supply chain

  • Achats & pricing – Le principe commercial du roman rejoint celui d’un des pères de la grande distribution. Edouard Leclerc le disait : « Acheter le moins cher possible pour vendre le moins cher possible ». La réussite du magasin s’appuie sur une rotation rapide des stocks, et une faible marge. Cette guerre des prix constitue un avantage concurrentiel considérable face auquel le commerce traditionnel ne peut rien : «Il y a une baisse de 15% au moins sur leurs articles de catalogue […] c’est ce qui tue le petit commerce »  . 
    Avec le Bonheur des Dames, on découvre également le prix d’appel, matérialisé ici par le Paris Bonheur, qui est une soie peu coûteuse : « Le tout, mon cher, est de les allumer […] Ensuite, vous pouvez vendre les autres articles aussi cher qu’ailleurs, elles croiront les payer chez vous meilleur marché.». 
  • MDD – C’est d’ailleurs aussi à travers cette soie que se manifeste le concept de marque propre ou de MDD. Le BdD le précise bien : « vous ne la trouverez que chez nous, car nous en avons acheté la propriété exclusive ». Ces produits « maison » à prix concurrentiels sont toujours autant plébiscités de nos jours. Ils peuplent désormais tous nos rayons : bricolage, mode, alimentaire, décoration etc. Ils sont parfois même la pièce maîtresse de l’assortiment, comme chez Lidl où ils représentent 90% de la gamme.
  • Organisation – Le découpage des rôles & responsabilités est millimétré, avec des responsables et contributeurs pour chaque activité. Achats, réception des marchandises, vente, conditionnement, expéditions, sécurité, design du catalogue etc… Cette précision dans les processus s’illustre particulièrement bien lors de l’un des temps forts du magasin : l’inventaire. En complément, le magasin met à disposition de ses collaborateurs des outils innovants pour l’époque. On peut citer l’ancêtre du système d’encaissement : le cahier de notes de débit. Il permettait d’enregistrer les transactions réalisées par les vendeurs (à la fois pour réconcilier les factures/mouvements de stock, et pour quantifier la commission des salariés). 

4.    Le Bonheur des Dames : une révolution sociale

Enfin et surtout, le Bonheur des Dames transforme la société en profondeur à travers :

  • Ses client(e)s – qui vivent à travers le shopping moderne une forme d’émancipation sociale et économique. Elles sont encouragées par un accès libre au magasin. Leur expérience client les placent en tant que femme « reine dans sa maison ». C’est aussi la démocratisation du luxe à bas prix… Contrairement au commerce traditionnel, la consommation n’est plus tirée par le besoin mais par le désir. La cliente « succombait fatalement, cédant d’abord à des achats de bonne ménagère, puis gagnée par la coquetterie, puis dévorée ». Pour marquer durablement cette mutation dans les habitudes de consommation, on utilise la fidélisation, dès le plus jeune âge et toutes classes sociales confondues : on dépeint ainsi Valentine, fille d’une cliente, « quatorze ans […] qui jetait déjà sur les marchandises des regards coupables de femme ». Le magasin devient le reflet d’une société (de consommation). 
  • Ses employés – qui bénéficient d’avantages innovants. On peut citer la création d’une caisse de prévoyance, la mise en place de la médecine du travail, l’accès à des ressources pédagogiques, les séminaires, les congés payés ou encore l’aide au logement. 
  • Ses concurrents – notamment les petits commerçants qu’il bouleverse. Guerre des prix, nouveau rythme des collections, audace et innovation… « Si l’ancien commerce, le petit commerce, agonisait, c’est qu’il ne pouvait soutenir la lutte des bas prix… ». L’histoire se réécrira un siècle plus tard à l’apparition de la grande distribution. 

Ce qu’il faut retenir

Sous une apparence de modernité, les principes commerciaux actuels reprennent les bases fondamentales établies dès le XIXème siècle, notamment par Aristide Boucicaut, le véritable père du Bon Marché, dont s’inspire le Bonheur des Dames. S’y intègrent désormais de nouvelles technologies comme les outils de prévision des ventes, de nouveaux claims tels que la durabilité et la circularité, ou encore l’omnicanalité. Pour ce qui n’a pas changé et ne changera jamais, le dernier mot revient à Monsieur Zola : « Au fond du commerce, il y a la science d’aimer les hommes. »

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Laure-Anh
Consultante confirmée